L’ESJ de Lille en tête de classement… mais de quel classement ?

L’ESJ de Lille en tête de classement… mais de quel classement ?

Peut-on classer les écoles de journalisme entre elles ? C’est le pari que vient de relever pour la deuxième fois Le Figaro Etudiant et StreetPress qui font paraître leur nouveau palmarès des écoles de journalisme. Quelle valeur lui accorder ? L’équipe de Prépa Journalisme vous donne un aperçu sur ce que révèle l’étude mais aussi sur quelques-uns de ses non dits.

« Quelle est la meilleure école de journalisme ? »

On entend fréquemment cette question sortir de la bouche de jeunes qui se préparent au métier (cf. Les écoles de journalisme en France : un bref panorama). Or, pour la deuxième fois, en 2013, le journal Le Figaro Etudiant et Street Press s’essaient à l’exercice. Ils proposent une méthodologie assez complète de classement. L’étude attribue aux écoles une note sur 100 sur la base de 9 critères : sélectivité et attractivité, moyens pédagogiques, moyens techniques, avis des recruteurs, prix de journalisme obtenus, employabilité, reconnaissance par la profession, le réseau d’anciens et l’ouverture sociale [1]. L’enquête portait cette année sur les IUT et les écoles de journalisme.

A l’aune de ce classement, il apparaît que le tiercé de tête donne l’ESJ de Lille vainqueur avec 84,7 sur 100, talonnée par le CFJ de Paris avec 83,8 et l’IPJ avec 72,8. Puis viennent l’IFP de Paris en quatrième position, l’IJBA de Bordeaux (5ème), l’EPJT de Tours (6ème), le CUEJ de Strasbourg (7ème), l’école de journalisme de Sciences-Po Paris (8ème) et le Celsa (9ème). Arrivent ensuite, plus loin dans le classement, les écoles non reconnues par la profession mais qui sont en forte progression.

Le privé distingué face au public

Ce classement vient donc distinguer en particulier les écoles de journalisme privées reconnues par la profession, dont deux d’entre elles figurent parmi les plus anciennes. Il laisse sur la touche la majeure partie des écoles publiques de journalisme. Ceci tient sans doute à un effet induit par les critères retenus dans l’étude.

Faut-il donc prendre ce classement au pied de la lettre ? Quelle valeur réelle lui accorder ? L’enquête n’explicite aucunement le choix de ses critères qui sont très largement issus du seul monde professionnel. Par exemple, il n’est pas demandé aux écoles si elles donnent des cours de culture générale ou dans des domaines de haut niveau universitaire. La plupart des critères sont d’ordre strictement « professionnalisants ». Il est ainsi donné sans raison explicite une forte importance à l’avis des recruteurs, à l’employabilité, aux prix de journalisme, au réseau des anciens et à la reconnaissance par la profession.

En bref, le modèle défendu par ce classement est celui d’une « bonne école » réduite à son rôle d’insertion professionnelle. Il n’existe qu’un seul critère consacré à l’ouverture sociale qui vient tenter un peu de contrebalancer cette réalité.

Une méthodologie limitée

Or, peut-on réduire la notoriété d’une école à son seul lien au marché du travail ? Quelles sont les limites d’une telle méthodologie ?

Concernant les employeurs, la collecte de leur avis ne dit rien de l’insertion effective des diplômés. En effet, une étude intéressante aurait pu être de montrer quelles était les positions occupés par des anciens à partir d’une étude des annuaires des anciens étudiants à cinq, dix ou à vingt ans après l’école. Mais cette étude prend du temps et du coup, elle s’intègrerait mal dans le souci de produire un palmarès régulier. Dans le même ordre d’idée, on sait bien que l’insertion dépend assez fortement, non pas de l’ouverture sociale du recrutement, mais plus des origines sociales des personnes recrutées. Or, sur ce point, l’étude n’utilise aucune des sources existantes qui permettraient à ces auteurs de préciser un peu mieux la légitimité des écoles à partir des propriétés de leurs étudiants [2].

Même si on se limite au seul critère de l’adaptation au marché du travail, rien n’indique un même type d’ancrage des écoles dans ce secteur. Certaines écoles valorisent davantage des formes d’autonomie chez leurs étudiants et évitent délibérément de les introduire trop directement sur le marché du travail en leur laissant par exemple des marges de manœuvres dans l’obtention de stages. Ce type de positionnement est-il moins efficace à long terme dans « l’insertion » et justifie-t-il de leur marginalisation dans le classement ? Rien ne permet d’en être certain.

A la lecture de ce classement, on ne sait rien aussi des différences d’optiques pédagogiques employées dans ces écoles. Par exemple, certaines écoles (comme l’IJBA) ont depuis longtemps valorisé un discours assez critique sur les médias qui constitue presque sa marque de fabrique. Or, ce critère de la transmission d’une déontologie ou d’une morale propre est-il réductible à une notation ? Est-ce pour autant dire que la qualité de la déontologie transmise ne compte pas dans la notoriété des écoles ?

Si ce classement demeure assez utile pour savoir quelles écoles insèrent a priori le mieux leurs étudiants, il vient donc reproduire les légitimités professionnelles qui ont cours dans ce monde des formations au journalisme. Il vient reconnaitre les écoles pour ce qu’elles s’adaptent le plus au marché du travail et exclure de fait les écoles qui recherchent une voie plus originale de formation. Au total, ce classement – comme souvent dans ce genre de classements [3] – vient consacrer les écoles qui sont déjà les plus consacrées par le milieu professionnel. A ce niveau, on ne manquera pas de s’interroger sur les « mauvais » résultats de Sciences-Po Paris qui bénéficient pourtant d’un excellent ancrage dans le milieu professionnel.


[1] Pour plus de détails lire l’étude complète : http://www.streetpress.com/sujet/92124-ecoles-de-journalisme-le-classement-2013

[2] Pour un exemple, voir Dominique Marchetti et Géraud Lafarge, « Les portes fermées du journalisme. l’espace social des étudiants des formations ‘reconnues’, Actes de la recherche en sciences sociales, n°189, 2011, p.72-99.

[3] Voir Pierre Bourdieu, « Le hit-parade des intellectuels français ou qui sera juge de la légitimité des juges ? », Actes de la recherche en sciences sociales, 1984, vol. 52-53, p. 95-100.

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