Forme-t-on trop de journalistes ?

Forme-t-on trop de journalistes ?

L’émission du Grain à moudre sur France Culture revenait ce jeudi 28 novembre 2013 sur le thème : « crise de la presse, faut-il encore former des journalistes ? ». A l’heure où le journal Libération accuse une diminution de 30% de ses ventes en kiosque pour les 9 premiers mois de l’année et où l’Institut de journalisme, une école fondée en 1922, vient de décider d’interrompre son activité en Belgique, la question de l’adéquation des formations de journalistes au marché se repose avec acuité.

L’ensemble des journaux nationaux est en crise. Libération mais aussi le Parisien, le Monde, Le figaro ont fait récemment part de nouvelles difficultés économiques. L’ensemble de la diffusion de ce type de presse a baissé de 7,1%. Et la presse magazine n’échappe pas au mouvement. Le groupe Lagardère cherche à vendre une partie de ses titres et son responsable a déjà annoncé qu’il fermerait les titres qui ne trouveraient pas preneurs. Enfin, divers plans sociaux ont été annoncé au Groupe Hersant (Nice-Matin), au Groupe Sud-Ouest, à La Dépêche du Midi et, au total, ce sont pas moins de 350 postes de journalistes qui vont être supprimés en deux ans sur l’ensemble de la presse quotidienne régionale, soit 6% de ses effectifs[1].

Dans ce contexte morose, de nombreux emplois se voient détruits. Lors des dernières assises du journalisme Jean-Marie Charon, sociologue au CNRS proposait un chiffre d’au moins 300 postes de journalistes supprimés entre 2012 et 2013, selon un Baromètre de l’emploi.

Nouveaux métiers du journalisme

Du coup, est-il raisonnable de former encore des journalistes ? A cette question, Nathalie Sonnac, directrice de l’une des écoles reconnues par la profession, l’Institut Français de presse se montre plutôt optimiste. Pour elle, il existe de nouveaux métiers autour du référencement dans les rédactions (SEO pour search engine optimization) mais ceux-ci ne sont pas exercés par des journalistes. En conséquence, du fait de ce gisement d’emplois, « les nouvelles formations ne peuvent pas se circonscrire à l’unique formation comme antan du journaliste mais se doivent d’aller vers le numérique, l’algorithmique », estime-t-elle.

Pour autant cette question du nombre apparaît comme un tabou au sein de la profession. Pour Jean Stern, journaliste et ancien responsable de l’EMI, une école de journalisme parisienne, « on forme beaucoup trop de journalistes. Mais seulement 10-15% des formés vont trouver du travail en CDD et CDI ». Ce dernier ne précise malheureusement d’où provient ce chiffre qui ne sort pas a priori d’une étude officielle. La formation pose la question du statut car de nombreux jeunes diplômés occupent des emplois en tant qu’auto-entrepreneur ou se faisant payer en droits d’auteur. Ils peinent alors à remplir les conditions posées par la Commission de la carte (avoir au moins 51% de ses revenus provenant d’activité labellisée comme journalisme).

Les étudiants lorsqu’ils sortent de l’école de journalisme, avec déjà 5-6 mois de stage enchaînent derrière entre 12-14 nouveaux mois, ce qui correspond à un « sas d’entrée » dans le métier[2]. Dans ce cas, ils ne sont pas employés ou salariés. « Le système participe à la précarisation de cette profession », dénonce la directrice de l’IFP.

S’autodissoudre

Face à cette incapacité des sortants d’école à trouver un emploi sur le marché du travail, certaines formations ont pris leurs responsabilités. Ainsi l’Institut du Journalisme, une école professionnelle historique a décidé de fermer ses portes en septembre dernier en Belgique. Cette école liée à l’association des journalistes professionnels belges mais aussi aux éditeurs a décidé de s’autodissoudre pour ne pas aggraver la situation en formant davantage de précaires. Selon son ancien directeur, « on ne peut pas en tant qu’association des journalistes professionnels déplorer et attirer l’attention du monde académique sur cette pléthore de journalistes et continuer dans le même temps à en former ». En Belgique, il y a beaucoup de diplômés qui sortent sur le marché du travail. Près de 400 par an. Alors qu’il y a une quarantaine d’emplois salariés ou pigistes sur le marché belge, ce qui donne un rapport vertigineux de 1 à 10.

En France, les écoles n’en sont pas encore à se saborder et préfèrent en appeler à l’aide financière de l’Etat mais aussi de la profession. Les responsables d’écoles mettent aussi l’accent sur le type de formation donnée et la nécessité de sa forte adaptation au marché. Comme le rappelle Jean Stern, dans certains cas ce sont les formations qui vont plus vite que les entreprises.

 


[1] Isabelle Hanne, « Journalistes, breaking mouise », http://ecrans.liberation.fr/ecrans/2013/11/06/journalistes-breaking-mouise_945084

[2] La notion est de Dominique Marchetti et Denis Ruellan

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