Tics de journalistes

Tics de journalistes

Les journalistes sont-ils formatés ? La question est récurrente, comme en témoignent certains débats suscités par la formation des journalistes. Par exemple en 2002, François Ruffin, un ancien étudiant du CFJ dénonçait la fabrique de petits soldats du journalisme selon lui dociles et soumis aux logiques de production de l’information. Décryptage de l’uniformisation du ton et des principaux tics journalistiques.

« La grogne » des usagers de la SNCF qui sont « pris en otages ». Ces formules un peu toutes faites son rituelles dans la bouche ou l’écriture des journalistes. Elles constituent autant de moyens immédiatement disponibles afin de répondre à des impératifs de traitement d’une information dans l’urgence. Mais elles constituent également de véritables pièges à sens commun. Parler ainsi de « prise en otages » pour des usagers apparaît excessif dans le sens où aucune rançon n’est exigée et que la grève reste un droit en France[1]. Comme souvent, le langage dissimile donc un certain nombre de partis pris idéologiques et politiques.

En même temps, il est clair que l’écriture journalistique obéit à un certain nombre de règles. Il existe un style spécifique : dans son article, un journaliste se doit d’avoir un chapô qui introduit l’idée générale qui s’appelle un « angle ». Puis il aura inévitablement une accroche censée capter l’intérêt du lecteur et une chute qui lui permet de finir la boucle narrative que constitue son article.

Mais plus encore que dans la presse écrite, l’uniformisation du style se fait ressentir à la télévision ou la radio. Un petit sujet humoristique tiré du site de Télérama offre une leçon de formatage journalistique[2]. La tonalité s’est beaucoup modifiée depuis le style officiel et officialisant de l’ORTF dans les années 1960 pour évoluer vers un ton plus « concernant » qui vise à surjouer la proximité entre les protagonistes d’un sujet et le spectateur. Comme le précise le reportage, « on prend le public par la main, on lui raconte des histoires ». Il suffit, pour ce faire, d’appliquer certaines règles spécifiques.

Règle n°1 : Une saga tu feras, avec n’importe quoi. « Marcus et sa famille ont bâti un empire grâce à un objet qui peut sembler tout simple mais qui fait un carton dans le monde entier : les carafes filtrantes ». Mais les cuisines ou les huitres peuvent aussi bien faire l’affaire.

Règle n°2 : Ton sujet tu personnaliseras. Cette personnalisation passe par une mise en avant d’une figure précise afin de créer une identification possible.

Règle n°3 : Des questions tu poseras à tour de bras. Mais « pourquoi le Vatican cherche-t-il à séduire ces catholiques qui font polémique ? », mais « comment un gamin sorti de nulle part est-il devenu une des étoiles du cinéma français ? » se demandent ainsi les journalistes bien involontairement mis à l’honneur par Télérama.

Règle n°4 : Des phrases tu inverseras. Ici, on a un côté véritablement emprunté au style inimitable de maître Yoda (pour mémoire, on pense au célèbre « Personne par la guerre ne devient grand »). Autre exemple choisi : « cette popularité en banlieue, elle la cultive jalousement ».

Règle n°5 : Le cloutage tu pratiqueras. Il s’agit ici de reprendre la dernière phrase de l’interviewé pour « enfoncer le clou ».

Règle n°6 : Des tics de langage tu emploieras. Par exemple, l’emploi d’expressions de type « ce matin-là », « ce jour-là ». Télérama note également un syndrome « direction ». Par exemple, dans le « direction, le large à 12 kilomètres des côtes », « direction le Congo… ».

Règle n°7 : Avec des expressions toute faites, ton beurre tu feras. « le vent en poupe » ; « comme un poisson dans l’eau ».

Règle n°8 : Une voix de bateleur tu peaufineras.

Sur ce dernier point les journalistes de Télérama se montrent peu diserts. Alors qu’une simple observation des sessions intensives d’apprentissage des médias audiovisuels dans les écoles de journalisme traduit à quel point l’acquisition de ce ton spécifique constitue un vrai travail que l’on appelle dans le jargon « poser sa voix ». Dans le fond, cela revient à lisser ou gommer au maximum ce qui est perçu comme autant d’aspérités (accent régional prononcé, voix trop aigu…). Ce sont souvent d’ailleurs des jeunes femmes journalistes qui décrivent avoir le plus de soucis « pour poser leur voix » dans l’apprentissage du journalisme audiovisuel. Tout semble fait alors pour que le ton le plus unisexe (calé sur un ton plus masculin ?) ou monocorde s’impose au travers d’une véritable entreprise de normalisation.


[1] Pour d’autres exemples de tics de langage voir, http://suite101.fr/article/peut-on-analyser-les-tics-de-langage-journalistiques–a10739

[2] http://television.telerama.fr/television/la-voix-de-la-transe,50698.php

Crédit photo : Cédric Motte [chouingmedia]

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