Grands reporters : précaires comme les autres ?

Grands reporters : précaires comme les autres ?

Dans les écoles de journalisme, la figure du grand reporter fascine souvent encore les jeunes aspirants au métier. Pourtant, ce métier est sans doute loin d’être aussi reluisant que ça. Angoisses, précarité, absence d’assurances. Focus sur les grands reporters couvrant la guerre.

« On ne se sent jamais aussi vivant que lorsqu’on regarde la mort en face. » John Steele est grand reporter d’images sur ITN News et pour cette raison constitue un véritable accroc à son métier. Le grand reporter qui couvre la guerre est une figure mythique du journalisme moderne. Dans l’un de ces ouvrages, l’historien Marc Martin rappelle bien le rôle joué par les Gustave Leroux ou Joseph Kessel pour formaliser une profession à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle en France. Puis dans les années 1950, les grands reporters sont plus nombreux, et c’est alors leur identité d’élite de la profession qui se dilue avec la multiplication des images et l’audience grandissante des radios[1]. En effet, la partie plus contemporaine du travail de ce segment de la profession reste moins étudiée et elle est a priori nettement moins reluisante.

Tout d’abord, le grand reporter est souvent suivi pour les divers traumatismes qu’il subit psychologiquement dans l’exercice de son métier. Il vit d’une certaine manière les mêmes angoisses que les soldats. Son équipement est d’ailleurs très proche puisque le grand reporter se doit de porter un gilet pare-balles, des lunettes de protection balistiques qui contrent le sable, la poussière, les cailloux, et enfin une polaire pour avoir chaud la nuit mais uniquement en laine ou en coton, parce qu’en cas d’incendies ou d’explosion le synthétique colle à la peau.

Stress post-traumatique

Un reportage de Canal +, diffusé fin septembre 2013 dans Spécial investigation et consacré au sujet débute de manière significative par une conversation entre un grand reporter et son psychiatre de Toronto, spécialisé dans les états de stress post-traumatique (EPTS). Le photographe de l’agence Reuter’s, Finbarr O’Reilly, y raconte son impression de dé-realisation lors de ces retours à Paris ou à Londres et sa sensation d’être lui-même de manière constante un observateur de la foule. Le métier est en effet très risqué : depuis 1961, 900 journalistes ont été tués en action. De plus, les grands reporters encourent plusieurs dangers : mourir sous les balles, être handicapé par l’explosion d’une mine, être enlevé, voir torturé. « Pourtant, on continue d’y aller, note Don Mac Cullin, un très médiatique photographe de guerre. Il y a quelque chose d’euphorique à faire partie de cette confrérie qui parcourt le globe et témoigne de ses soubresauts »[2].

Métier masculinisé

En plus d’avoir des troubles psychologiques, le grand reporter exerce souvent son métier dans des conditions précaires (sur ce point, voir aussi notre article « Qui sont les journalistes en 2012 ? »). Une étude de la société civile des auteurs multimédia (Scam) a porté sur 3400 journalistes en exercice parmi lesquels figuraient 176 reporters de guerre. Dans la majeure partie des cas les grands reporters amenés à couvrir des zones de conflits restent des hommes. Sur les 176 personnes interrogées, 73% sont des hommes. On retrouve très fortement enraciné dans les représentations sociales le stéréotype que le métier de grand reporter serait principalement un métier masculin. A tel point que dans le documentaire de Canal +, le réalisateur demande à une journaliste anglaise s’il est plus difficile d’exercer ce métier pour une femme que pour un homme. Ce qui a le don d’exaspérer la journaliste Christiana Lamb, du Sunday Times de londres, qui s’emporte alors contre le fait que l’on puisse supposer qu’il soit « plus irresponsable pour une mère que pour un père de partir pour exercer un métier dangereux ».

Disparités

Particulièrement masculinisé, le métier est aussi l’apanage de journalistes plus âgés que la moyenne des répondants à l’enquête de la Scam. Le plupart d’entre eux pratiquent un métier en lien avec les images : 53 % sont journalistes TV, 6 % photographes et 5 % réalisateurs. Dans l’ensemble ils sont relativement mieux payés que la moyenne, même si peu d’entre eux reçoivent une prime de risque pour couvrir un environnement de conflit.

Ceci dit, cette illusion d’une bonne rémunération masque de grandes disparités. « Parmi les reporters de guerre, un photographe sur deux et un réalisateur sur trois perçoivent des revenus inférieurs ou équivalents au Smic (13.000 euros nets/an), soit une proportion bien supérieure à celle des reporters de guerre en général (10 %), et à celle de l’ensemble des répondants (12 %) », précise aussi l’étude[3].

Autre signe de précarité manifeste : selon l’étude, 25 % des journalistes couvrant des conflits armés ne sont pas assurés. Cela signifie que de nombreux journalistes partent sur des zones de conflit par leurs propres moyens, sans contrat de travail. De manière logique, la plupart des journalistes s’accordent donc pour souligner que leurs conditions d’exercice sont devenues de plus en plus difficiles.


[1] Pour une approche historique, voir Marc Martin, Grands Reporters, les débuts du journalisme moderne, Paris, Louis Audibert, 2005.

[2] http://www.parismatch.com/Culture/Art/Profession-reporter-de-guerre-526765

[3] http://www.scam.fr/tabid/363252/articleType/ArticleView/articleId/8129/De-quoi-vivent-les-grands-reporters-.aspx

Crédit photo : The U.S. Army

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