Le webjournalisme vu par la formation

Le webjournalisme vu par la formation

Le journaliste Denis Robert consacre une série de 4 documentaires diffusées sur France 4 et un web documentaire au suivi des étudiants d’une nouvelle licence de webjournalisme lancée à l’université de Metz en 2009. Comment forme-t-on ces « nouveaux journalistes » à l’internet ? Le web journaliste est-il un journaliste comme les autres ?

«Voilà webullition. On ne va pas concurrencer Le Monde, c’est un webzine expérimental. Après il peut être comme votre gosse très laid mais à la fin vous le trouverez le plus beau de la terre ». C’est avec ces mots que Arnaud Mercier, professeur en sciences de l’information et de la communication et responsable pédagogique présente le site de la nouvelle licence en webjournalisme aux étudiants de l’université de Metz. Pour lancer sa formation, l’universitaire s’est entourée de plusieurs spécialistes : il y a Robert Koch, qui a fait 35 ans d’AFP, il y a Nicolas Bastuck,correspondant du monde dans la région et également journaliste au Républicain Lorrain. Il y a un journaliste reportage d’images et aussi Claude Ardid, un journaliste, grand reporter ayant réalisé de nombreux documentaires. Il y a une webmaster de 20 minutes qui s’appelle Melissa Bounoua.

Pari pratique

L’accent de la formation est placé sur l’acquisition de réflexes professionnels. On ne trouve pas tellement de place pour les cours plus théoriques car le pari est plus pratique. Les étudiants apprennent d’abord à manier une caméra. Les transformations du journalisme modifient progressivement le matériel technique. A Metz, on ne travaille plus sur la base de beta cams, des caméras assez lourdes et couteuses répandues en télévision. On apprend à l’aide de petites caméras, plus proche du caméscope et plus maniables de ce fait. Le web journalisme est sans doute pour l’université aussi une manière plus économique de travailler que dans les grandes écoles de la profession ce qui signifie que l’on abaisse de la sorte les droits d’entrée dans le monde des formations .

Les étudiants sont exposés à une plus forte polyvalence qui constitue sans doute une spécificité de la formation. Comme le résume bien Denis Robert, le web journaliste est comme Shiva, la déesse indienne qui a plusieurs bras. Il prend des notes, réalise des photos, tourne un film et avec son dernier bras doit capter le meilleur son possible. Deux étudiants envoyés au conseil municipal en font l’amère expérience. De retour du reportage, le lendemain, ils n’ont pas eu le temps de monter leur sujet. Ils se font tancer vertement par l’intervenant. « Il faut produire quelque chose, de la vidéo ou autre. Il n’est écrit nulle part qu’il faille produire du texte, de la vidéo et du son », rappelle Nicolas Bastuck, correspondant du Monde. Surtout, comme tout journaliste, le journaliste web doit maitriser les règles générales du métier comme le respect des deadlines (date de rendu des papiers).

Après certains étudiants critiquent le caractère peu technique de leur formation et le côté un peu trop superficiel de leur licence. « On a survolé. On ne fait pas de codage et on n’apprend pas le html car on n’a pas le temps », lâche un étudiant. A la différence d’autres formations comme l’École de journalisme de Sciences Po Paris, la licence professionnelle de Metz accorde en effet moins de place à l’idée d’une fusion complète du journaliste et du développeur (cf. notre article Mythes et réalités du journalisme numérique).

Chef d’œuvre

Le pari de Arnaud Mercier et de son équipe est sans doute plus de se focaliser son le contenu que sur le contenant. En témoignent les deux derniers épisodes de la série tournée par Denis Robert, dans lesquels les étudiants s’efforcent de réaliser leur chef d’œuvre qui est un webdocumentaire .

Les sujets sont diversifiés : le football féminin et le machisme des hommes, les assistants parlementaires comme précaires de la politique, les femmes converties à l’islam. Ce que cherche alors à transmettre les professeurs c’est un sens de l’enquête. Des séquences tournées avec un le grand reporter Claude Ardid sont des moments denses dans lesquels les étudiants apprennent comment interviewer une personne dans des situations difficiles. L’affaire Bettencourt sert ici de cas d’école et l’enquête publiée par mediapart de manuel. Le web journaliste est en fait un enquêteur comme un autre. L’un des meilleurs web documentaire est celui d’un jeune étudiant familier des méthodes internet qui réalise un travail sur une ratonnade oubliée dans la région ayant eu lieu en juillet 1961. Il parvient à obtenir des témoignages assez confidentiels auprès d’anciens militaires. Ils se heurtent souvent à des craintes, des refus de parler par peur de représailles même 50 ans après les faits. Une autre étudiante se voit opposer un refus de diffuser des images de femmes converties à l’islam devant un public « d’hommes ». Le jury est composé de plusieurs spécialistes du journalisme d’enquête à l’image de Sophie Coignard et de John Paul Lepers. Ce dernier lui reproche sa frilosité puisqu’elle a cédé face à ces demandes de femmes témoins alors même qu’elles avaient donné leur accord de manière préalable pour être filmées et interviewées.

Enquête, Créativité, Interactivité

Mais le web journaliste n’est pas pour autant totalement un journaliste comme les autres. C’est ce que vient rappeler David Dufresne. Ce journaliste est le co-auteur d’un webdoc dédié à la prison aux Etats-Unis. Il rappelle que pour Internet, les règles d’écriture et la narration changent. Il existe une multitude de points d’entrée pour le public. Ce n’est pas l’écriture classiquement enseignée dans les écoles. Ce n’est pas « la petite phrase d’accroche, le tunnel au milieu et la petite chute qui fait une pirouette sur ce qui a été vu au début », concède-t-il. Le web documentaire est une autre forme qui laisse une place plus importante à l’enquête, à l’interactivité avec le public et aussi à la créativité des jeunes journalistes. C’est sans doute pour ces raisons que cette activité est perçue comme porteuse d’avenir et susceptible de faire descendre le journaliste de son piédestal.

Crédit Photo : utnapistim

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