Une plongée dans l’univers des écoles de journalisme

Une plongée dans l’univers des écoles de journalisme

Denis Robert, le journaliste célèbre pour avoir écrit deux livres Révélations et La boîte noire portant sur l’affaire Clearstream s’est récemment distingué par une série de documentaires diffusés sur la chaine France 4 sur le thème du webjournalisme. Mais au-delà de cet aspect, c’est une véritable leçon de journalisme que contient ces quatre reportages intitulés « Les nouveaux journalistes ». On y voit reproduit la plupart des conflits qui traversent les rédactions. Entre critiques et résistances, c’est toute la fabrique du journaliste qui se voit ainsi mise à jour.

« Vous êtes la promo Ghesquière et Taponier[1]…et ça vous engage ! », lance Arnaud Mercier à la deuxième promotion de la licence webjournalisme de l’université de Metz. A l’image de l’ENA ou de Sciences Po, Arnaud Mercier a tenu à ce que les étudiants se donnent un nom de promo. Le choix fut difficile : en plus des deux otages, on notait entre autres la journaliste russe décédée Anna Politkovskaia, et aussi Thierry Meyssan [qui a d’ailleurs été éconduit par le professeur d’université, le considérant comme non sérieux et plaçant alors son veto]. Après le vote du nom, on fait une photo de groupe avec une pancarte en anglais « Free journalists !» (Libérez les journalistes !). La promo de cette nouvelle licence est belle et bien lancée.

Manipulation ?

Or, après ces débuts fédérateurs, l’ambiance se tend progressivement entre l’équipe pédagogique et la plupart des étudiants. Certains étudiants ont déjà reçu une formation dans un DUT de journalisme. Ils n’hésitent pas à critiquer publiquement certains conseils donnés par le journaliste intervenant en télévision. Celui-ci décortiquant le premier reportage télévisé d’un étudiant sur un marathonien lui reproche de ne pas avoir assez montré des images de l’échauffement du coureur. L’étudiant réplique du tac au tac : « il ne s’est pas échauffé ! ». Premiers débats d’éthique : l’étudiant dénonce « une manipulation » que lui conseillerait l’intervenant, puisque celui-ci lui suggère de « faire courir » artificiellement le sportif pour faire de l’image. En télévision, on appelle ça « la mise en situation ». Les impératifs de narration font que assez souvent les journalistes suggèrent à la personne auprès de qui ils réalisent le reportage des actions qui n’auraient pas forcément lieu sans la présence d’une caméra. Leur objectif : simplement coller au mieux à une narration assez conforme à l’image qu’ils se font des attentes du rédacteur en chef et du public sur ce type de sujet. Dans le sens commun, un marathonien s’échauffe en effet avant sa course et donc pour le journaliste intervenant, il n’est pas concevable de réaliser un sujet si on ne dispose pas de ce type d’images. Mais l’étudiant ne l’entend pas de cette oreille. Il conteste le professeur et crie au bidonnage et à la violation des règles de l’éthique du métier.

Être humble

Par la suite, ce même jeune étudiant se voit nommé comme un des représentants du groupe pour poser des questions à Claire Chazal, journaliste vedette de TF1. Un comité d’accueil s’est constitué dans le cadre de l’université et parait très critique vis-à-vis de la venue de cette présentatrice de JT. Sur les murs, s’étale « Claire Chacal » écrit au marqueur. Claire Chazal est prise comme la porte parole d’une chaîne souvent honnie par certains étudiants pour son caractère commercial et la proximité de certains de ces dirigeants avec les leaders de droite. L’ambiance est tendue. Une alarme incendie, sans doute déclenchée volontairement, interrompt même à un moment la conférence. Claire Chazal a avec elles des gardes du corps. L’étudiant face à la présentatrice lui demande pourquoi elle a bu du champagne au moment de la victoire de Sarkozy ? Elle lui répond sur un ton posé : « On boit du champagne tous les jours ». Et elle explique que lors des présidentielles c’est une tradition, quel que soit le vainqueur. Sur le coup, le jeune intervieweur ne rebondit pas.

Sur le site du webzine de la licence, Webullition, le jeune journaliste veut alors rédiger un article critique pour montrer à quel point ils ont été censurés lors de cette journée. La visite leur aurait, selon lui, laissé peu de place pour poser leurs questions. Il se fait remettre en place par son intervenant, correspondant au journal Le Monde à Metz et également journaliste au Républicain Lorrain. Nicolas Bastuck lui dit que dans la plupart des cas, on dénonce la censure des journalistes mais que lui, en tant que jeune reporter, et tout comme Chazal dans son travail quotidien de présentatrice, a été victime du cadre assez rigide imposé aux interactions. Alors qu’il aurait pu toute la journée contourner ce cadre pour poser de manière non formelle ces questions, selon le professeur, l’étudiant s’y est paradoxalement fortement soumis. « Vous n’avez pas été meilleur que Claire Chazal, alors vous devriez être un peu humble ! » rappelle le professeur en guise de morale.

Une formation en journalisme est faite en permanence de ces micro-ajustements qui suscitent parfois des résistances. Le mérite de ce documentaire c’est de dévoiler certaines règles implicites du journalisme au grand public. C’est aussi en refusant ce que Denis Robert appelle « un diktat des professeurs » que le jeune journaliste se forge son caractère et son éthique propre.


[1] Du nom des deux otages Hervé Ghesquière et Stephane Taponier, libéré après 18 mois de captivité en Afghanistan en juin 2011. A l’époque du tournage du documentaire de Denis Robert, ils étaient encore otages.

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