Déontologie des journalistes : comment sécuriser l’information ?

Déontologie des journalistes : comment sécuriser l’information ?

Lors des Assises internationales du journalisme qui se sont tenues en Metz les 5-7 novembre 2013, un rapport sur la déontologie a été présenté par le tout nouvel observatoire de la déontologie de l’information. Il entend sécuriser davantage l’information pour restaurer la confiance du public dans les médias. Un programme salutaire qui ne manque pourtant pas de susciter certaines interrogations sur le plan de la méthode.

Un nouveau rapport pour recenser diverses infractions aux grands textes déontologiques. C’est avec cet objectif que le tout nouveau observatoire de la déontologie de l’information fondé depuis le 12 septembre 2012 a présenté aux assises les principaux résultats de sa réflexion. L’observatoire entend ainsi remplir la mission qu’il se donne qui est de « contribuer à la prise de conscience de l’importance de la déontologie dans la collecte, la mise en forme et la diffusion de l’information au public »[1].

La déontologie professionnelle n’est pas un thème neuf pour les journalistes. Elle a déjà donné lieu à de multiples rapports ou textes au sein de la profession (Jean-Marie Charron en 1999, Daniel Cornu en 1994…). Elle compte même aujourd’hui quelques spécialistes parmi les journalistes notamment (Yves Agnès, Henri Pigeat, Jean-Jacques Cros…).

L’objectif de ce rapport est salutaire. Sur toute l’année 2012-2013, l’observatoire a étudié et listé plus de 150 faits de déontologie. L’année a été marquée par quatre temps forts : l’affaire Cahuzac, le mariage pour tous, la place de la guerre au Mali et des conflits en Syrie avec l’éventuelle intervention de la France. Ces évènements posent diverses questions déontologiques : par exemple pourquoi certains journalistes et éditorialistes ont-ils manifesté leur confiance en Cahuzac même après les révélations de Mediapart ? Que peut-on montrer au grand public comme images dans le cas d’une guerre ?…  Pour les auteurs du rapport, il s’agit à partir de ces exemples précis pour voir à quels moments les journalistes rentrent en infraction par rapport aux codes de déontologie les plus importants[2]. L’étude de ces divers manquements à la règle débouche sur une typologie des fautes. Celles-ci peuvent être « involontaires ou passives » ou « actives » en ce sens qu’elles seraient alors des dérives plus conscientes. Du côté des fautes passives, sont recensées des erreurs de grammaire ou de style, des illustrations erronées (un cadavre montré mais deux noms différents donnés à l’antenne ou publiés) ou des problèmes de fausses annonces (des otages déclarés libres mais qui ne le sont pas au Cameroun par exemple). En commun, ces fautes découlent souvent de l’insuffisance de vérifications, du recours à des sources anonymes, et de la course à l’audience.

Puis viennent les fautes actives qui font que les journalistes ne se fient qu’à la rumeur ou se font manipuler par leur propre usage restrictif de certains chiffres ou sondages. Le rapport conclue de manière assez sommaire que les erreurs passives sont souvent le résultat d’une pratique qui considère les moteurs de recherche sur Internet comme des fournisseurs de sources fiables. « Les journalistes qui abusent des médias sociaux et d’autres sites en ligne sont la proie facile des amateurs, des faussaires et des manipulateurs » précise ainsi le rapport[3]. Quand aux erreurs actives, « certains croient que la crise et la détresse économiques autorisent toutes les transgressions : d’autres estiment que seuls sont intéressants les faits qui accréditent leur préjugés »[4].

C’est sur le plan de la méthode, que ce rapport est en revanche plus que critiquable. Tout d’abord, il repose sur un parti-pris corporatiste qui consiste à ne pas citer les sources des auteurs de ces infractions qu’ils s’agissent des journalistes ou des médias. Alors que lorsque l’on est ensuite en présence de ce que les membres de l’observatoire jugent être des exemples positifs (par exemple le journal Challenges optant pour une charte interne en septembre 2013) ceux-ci sont valorisés de manière explicite. Si ce souci de l’anonymat fait perdre en précision l’analyse, il peut encore se comprendre par un souci des auteurs de ne pas jeter l’opprobre sur un média en particulier. Mais, ce qui pose sans doute beaucoup plus question tient dans la décontextualisation totale de ces faits déontologiques. En effet, aucune analyse concrète de cas n’est faite et ne donne à voir les pluralités de raisons, des facteurs (techniques, économiques, moraux..) qui poussent à la faute. On en apprend bien plus sur le métier à lire des analyses sociologiques – même si malheureusement un peu datées – de Cyril Lemieux décryptant les fautes commises par les journalistes[5] que dans ce rapport à la pointe de l’actualité. En effet, ce document se contente d’être une accumulation d’exemples presque totalement dépourvus de logique explicative. Dans le meilleur des cas, les fautes actives sont uniquement vues comme des produits de la volonté des acteurs et très peu comme des effets de système liés à des contraintes de formats, des considérations économiques ou politiques (hormis dans une partie 2 consacré à « la fabrique de l’information » qui se contente de lister une série de généralités sues depuis une dizaine d’années sans forcément faire le lien avec les infractions précédemment évoquées). Une chose est de proclamer ainsi sa volonté de repenser la déontologie du métier dans son ensemble, une autre consiste a minima dans la capacité de se donner des outils théoriques pour parvenir à le faire.


[1] L’insécurité de l’information, Premier rapport annuel de l’ODI, le 5 novembre 2013, p. 4.

[2] Il s’agit de trois textes : la charte d’éthique professionnelle du SNJ (1918-2011), la déclaration des droits et des devoirs des journalistes de 1971 et le projet de code de déontologie pour les journalistes (groupe de travail Frappat 2009)

[3] L’insécurité de l’information, Premier rapport annuel de l’ODI, le 5 novembre 2013, p. 20.

[4] Ibid., p. 20.

[5] Lire Cyril Lemieux, Mauvaise presse. Sociologie compréhensive de la faute journalistique et de ses critiques, Paris, Métailié, 2000.

Crédit Photo : Thibaud Epeche

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